Niyaz Najafov
Carte Blanche
04
Sep
2021
25
Sep
2021

NIYAZ NAJAFOV. QUELQUES IDÉES SUR LA PEINTURE MEME.

 

 

« Je suis un artisan, pas un artiste. Ce qui est important pour moi, c’est d’être reconnu en tant que maliar » * proclame volontiers Niyaz Najafov.

 

Il insiste ainsi sur son intérêt exclusif envers la dimension plastique de ses peintures, et pas envers leur sacralisé artistique.

 

L’artisanat est un concept de la fin du XIXè siècle. C'est un concept créé avec celui de l'art, l'art en général et au singulier (et non plus les beaux-arts, affiliés aux arts décoratifs, ni les plus anciens arts libéraux, opposés aux arts mécaniques).

 

Au XIVè siècle, la peinture n'était que la peinture. Elle ne figurait même pas dans les listes des arts mécaniques. L'artisanat, comme l'art, sont des concepts qui portent avec eux le mythe récent et flou de l'articité comme valeur en soi : un art ne désigne plus une catégorie de productions, mais l'art désigne directement la valeur intrinsèque de la production dénommée « art ». L'artisanat est son nouveau pendant, pas si péjoratif que ça, seulement, peut-être, moins prétentieux ...

 

Formellement, Niyaz travaille systématiquement sur des effets de tracé du pinceau, de manière figurative. Et il relie les deux potentialités. Par exemple, il va expliciter la potentialité figurative de l'apposition de peinture, mais en peignant un mammifère écorché, sanguin, sens dessus-dessous, distordu, non- identifiable, splashé par des larges coups de pinceaux, sur un fond neutre et davantage lissé, composé de deux bandes grises et marron clairs, évoquant, peut-être, une pièce.

 

Au-delà de cette musicalité à deux instruments (le pictural et le figural ), Niyaz met aussi en rythme des figures répétitives variées de fleurs. À force d'en voir sous formats divers, le vase, les pétales, les deux bandes du fond, deviennent pures conventions, qui comptent moins comparés au relief de la peinture séchée.

 

Depuis 2016, l’artiste introduit ses fleurs dans la ville et jusque dans ... les institutions. Comme le Louvre, le Centre Pompidou, etc. Niyaz les colle, au risque de les voir moisir ou très vite enlevées. Pour se donner de la visibilité, dit-il. Ça ressemble à une performance intime. Au Louvre, la visibilité que ça lui donne est trop courte. Mais il reste. Il observe les réactions des gens, qui parfois cherchent le cartel, frustrés. Or, le Louvre, n'est-ce pas le sanctuaire qui muséifie l'artisanat, qui l'érige au statut d'art ?

 

Se donner de la visibilité, c'est avoir un horizon d'attente. Pour Niyaz, c’est surtout la ville. Horizon d'attente : il s'agit d'une formule du théoricien de la littérature, Hans Robert Jauss (Esthétique de la réception, 1990). C'est l'idée selon laquelle ce qu'on produit, on le produit pour une certaine culture, un public plus ou moins visé, et de manière relativement consciente ou inconsciente.

 

Ceci sort Niyaz de la case « paradigme de l'art contemporain » : ou plutôt, c'est lui qui s'en extrait, qui fait cet effort. La sociologue Nathalie Heinich identifie une interdépendance dans la trinité marché / institutions / artistes (Le Paradigme de l'art contemporain, 2014).

 

Niyaz s'émancipe des institutions. D’une manière naive, il tente de fonder un nouveau statut pour le peintre, de forger une nouvelle définition de l’artisanat.

 

Finalement, l'hybridité et les contradictions qui se cachent dans le mot « artisanat » lui vont plutôt bien... Son parcours, son discours, sa façon de faire de la peinture, s'accordent : son « statut artistique » est finalement cohérent. Il est idéologiquement exemplaire et équilibré, au regard des valeurs floues qui peuvent être prônées parfois. Ces valeurs sans noms, liées à des réseaux qui se réunissent autour d'elles, sont rendues paradoxales par l'objectif marchand pourtant nécessaire, intrinsèque aux  « articités » de tous temps et de tous réseaux.

 

Azad Asifovich & Adrienne Roger Jaffé

©Marco Illuminati, Galerie Italienne
`
© Marco Illuminati, Galerie Italienne
`
© Marco Illuminati, Galerie italienne
`