Alice Gavalet
ALICE GAVALET
Vernissage
09
Mar
2022
09
Apr
2022

 

Comme une Parade joyeuse

 

Que la céramique connaisse une pleine reverdie, le doute n’est plus de mise. Elle s’offre même une liberté inédite, elle explore tous les registres, elle se joue inlassablement des techniques. Elle se voudrait précise, elle s’exprime sans retenue technologique ou assumant d’être empirique. Elle donne surtout à voir une incroyable diversité, dans une époque qui aime encore un peu trop s’adonner au plaisir de tout classer sous des étiquettes bien lisses, bien propres, l’aléa des médiocres. Dorénavant, la céramique s’en affranchit et embrasse avec entrain le beau mot d’éclectisme, sous la plume d’un dix-neuvièmiste c’est même le compliment suprême, ici et là, sans jamais s’enfermer dans le tout-cuit d’une histoire de l’art au cordeau.

 

Ainsi Alice Gavalet offre à la gourmandise du public une petite musique bien à elle. Passée par les meilleures écoles, de celles qui donnent un diplôme à celles de la vie, non moins cruciales, en particulier auprès d’une autre femme incroyable, Elizabeth Garouste, Alice a fait de la céramique un terrain de jeux infini. Au fil des exposi- tions, le corpus s’enrichit. C’est souvent le défi de la jeunesse, non pas tant de tout réinventer, mais de donner de l’épaisseur au temps, en arpentant les champs qui donneront à l’œuvre une forme de densité, en un mot : sa profondeur. Dans l’impatience contemporaine, prendre le temps est autant un luxe qu’on s’accorde qu’un risque que l’on prend. Quand on a encore la vie devant soi, les portraits sont un peu courts, les articles répètent les mêmes mots ou épuisent les mêmes références. Comme tout le monde, je les ai lus : Ettorre Sottsass, Jean Dubuffet, Max Ernst, Betty Woodman, et d’autres.

 

Acceptons-en l’augure, mais proposons d’autres lectures encore, car l’œuvre, pour commencer son éclosion, n’en est pas moins impressionnante de ramifications et de bourgeons. Il y a chez Alice une passion du dessin, elle dit « gribouillage », on sent pourtant des traits très maîtrisés, sans tremblement ni repentir, un retour bienvenu à l’enfance de l’art, on pense au floral et au végétal de Matisse, plus tard d’Ellsworth Kelly. Le jeu des découpages, détourages, collages ramène sensiblement au premier. Au mur de son atelier, de grands dessins épinglés comme des papillons semblent attendre de prendre vie en trois dimensions, souvent les couleurs primaires, jaune, rouge, bleu, les réhaussent, emplissant le blanc de la feuille ou se superposant aux contours noirs, c’est sans doute ici que se fait plus manifeste cette référence à l’Hourloupe de Dubuffet qu’Alice se plaît souvent à mentionner. L’écho est plus saisissant quand s’ajoutent les couleurs à la surface de ces terres rouges qu’Alice affectionne, la peinture aux aplats généreux que bientôt fait chanter l’émaillage. En une alliance étroite, la céramique d’Alice convoque autant la peinture que la sculpture : avec elle, on aime l’idée d’un bricolage génial, on rafistole, on assemble, on tâtonne. Les formes d’un vase naissent de ces grands dessins stylisés, ramenés à quelques gestes très assurés. Ils s’amplifient encore dans la jubilation du décor et de la couleur.

 

« Jubilation » semble le mot approprié, rien n’évoque ici la gravité, tout célèbre l’apesanteur par la couleur, si bien que certaines œuvres peuvent laisser songeur, de primer abord, quant à la matière dont elles sont faites : est-on face à une céramique, ou à un plâtre, un objet de papier, une délicate structure textile ? L’art décoratif aime déconcerter l’œil et égarer l’esprit. Les surfaces se parent de treillages quadrillés comme dans une toile de Viallat, ou d’arlequinades dignes d’un Léon Bakst ou d’un Christian Bérard, le côté Ballets Russes de la chose. Quelquefois c’est une féérie de clans écossais drapés dans des tartans, comme sortie d’un roman de Walter Scott. D’ailleurs, parlant d’elle-même, Alice évoque le travail d’une couturière, agençant les formes de céra- mique selon un patron, où chaque pièce s’articule à l’autre.Serait-ce une autre piste pour cheminer dans l’uni- vers si poétique d’Alice Gavalet ? Ce lien discret, tissé des suggestions et d’échos, devient plus éclatant au fur et à mesure que l’on s’y plonge, et rapproche aussi ses créations des décors et des costumes de scène qui rythment les années 1910 et 1920.Un souffle de vie qui donne à ses céramiques un mouvement chorégraphique, anses épanouies comme les manches flottantes d’une blouse, rayures récurrentes comme les maillots des baigneurs élégants, l’équilibre et la grâce. Une exposition imaginée comme une Parade joyeuse.

 

 

Olivier Gabet

© Pierre Antoine Querry
Sans Titre (24), 2022

Vase marron, azur, jaune

céramique émaillée 

77 x 35 x 35 cm

Gueridon (62), 2022

Tripode tacheté de bleu, vert sur un fond jaune. 
Céramique émaillée 
47 x 42,5 x 42,5 cm

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© Pierre Antoine Querry
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© Pierre Antoine Querry
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